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Conjoncture et marchés

Panorama économique

L’inflation ne faiblit pas

Un été placé sous le signe des incertitudes économiques, avec des scénarios qui peuvent être très différents les uns des autres en fonction des hypothèses retenues.

Le premier élément à prendre en considération est l’évolution de l’inflation dans les 18 prochains mois. À court terme, il ne fait guère de doute que la hausse des prix restera exceptionnellement élevée comme on le constate avec les derniers chiffres publiés en  juin concernant la zone euro. L’inflation culmine à +8,6% en rythme annuel (cf. graphique ci-dessous) et enregistre un nouveau record historique. Le chiffre dépasse même la barre des 10% en Espagne.

Evolution de l’inflation en zone euro
Evolution de l’inflation en zone euro (Source : Covéa finance  - juillet 2022)

Les économistes s’interrogent maintenant sur le timing du prochain pic d’inflation, date qui permettra alors de valider le début d’un reflux du coût de vie. S’il est logique de penser que la hausse de l’inflation atteindra bientôt son apogée (au plus tard au début de l’automne selon les experts), les débats sur le rythme de sa normalisation sont ouverts. Cela dépendra aussi bien de la géopolitique et des décisions qui seront prises par les russes de continuer à alimenter (ou pas !) l’Europe en énergie fossile. La tendance économique va également jouer son rôle, car la dynamique de la demande émanant des ménages et des industriels sera un facteur essentiel dans l’équilibre des prix des matières premières. Le repli récent de ces derniers, qui concerne aussi bien le pétrole que de nombreuses matières premières industrielles, pourrait laisser supposer un ajustement plus rapide de l’inflation en 2023.

Les craintes de récession s’accentuent

Le second élément, qui est devenu prépondérant ces derniers jours dans les discours des économistes, concerne l’ampleur du ralentissement économique. Celui-ci ne fait plus débat à ce jour compte tenu des publications des indicateurs économiques.

À titre d’exemple, la dernière enquête réalisée auprès des ménages américains indique que ceux-ci anticipent une dégradation des conditions d’emploi à terme. L’indice revient même à son niveau de 2013 (cf. graphique ci-dessous).

Enquête du Conférence Board sur les conditions du marché de l’emploizv
Enquête du Conférence Board sur les conditions du marché de l’emploi d’aujourd’hui et dans 6 mois (Source : Aurel BGC-juillet 2022)

En zone euro, il est possible de mettre en relief le nouveau repli de l’indice PMI composite qui perd 2,8 points en juin pour revenir à son plus bas depuis février 2021 à 52,0.

 

La détérioration du contexte économique, associée à une remontée significative des taux d’intérêt directeurs afin de lutter contre la flambée de l’inflation, valide l’hypothèse d’une prochaine récession, aussi bien aux États-Unis qu’en zone euro. Ce scénario, sans être encore consensuel parmi les économistes, est de plus en plus redouté par les opérateurs de marché. Cela explique notamment la consolidation des cours des matières premières depuis plusieurs jours, avec comme idée centrale, une baisse de la demande des ménages et des chefs d’entreprises. Cependant, il convient de rester mesuré quand on évoque le terme de récession. Une récession dite technique, conditionnée à une baisse du PIB (parfois modérée) pendant deux trimestres consécutifs, n’est pas considérée comme un élément économique gravissime. Il en est différemment si le repli de la croissance d’un ou plusieurs pays est important et plus durable que l’espace de six mois. Dans ces conditions, l’économie est particulièrement affectée, avec une nette remontée du taux de chômage et un large repli des investissements.

La menace d’une rupture dans l’approvisionnement énergétique

Parmi les risques évoqués récemment, une éventuelle réduction des livraisons d’énergie fossile en provenance de la Russie pourrait ainsi enclencher une baisse substantielle de la croissance économique européenne. En effet, la zone euro est dépendante à hauteur de 40% du gaz russe, qui se fait par ailleurs de plus en plus rare depuis plusieurs semaines (cf. graphique ci-dessous). Face aux sanctions des pays occidentaux, V Poutine serait tenté de mettre l’activité européenne sous pression en la privant notamment de gaz. Un telle situation obligerait les autorités politiques à mettre en œuvre des mesures de rationnement qui impacteraient lourdement plusieurs pays de la zone euro, dont l’Allemagne. Cette dernière serait dans l’incapacité de trouver des solutions alternatives pendant la période hivernale, alors que les niveaux de stock ne sont qu’à 40% de leur pleine capacité.

Niveau d’importation du gaz russe en Europe
Niveau d’importation du gaz russe en Europe (Oddo BHF – juin 2022)

À contre tendance des autres grandes zones géographiques, les indicateurs chinois confirment leur redressement. Même si la situation sanitaire demeure fragile, la sortie d’une période de confinement sévère, qui avait paralysé en grande partie une région comme Shanghai, autorise un optimisme mesuré sur les perspectives de la croissance chinoise. Le sensible rebond de l’indice PMI des services qui passe de 41,4 à 54,5 points en juin illustre bien ce rebond. C’est aussi une bonne nouvelle pour l’ensemble des pays développés dont les échanges commerciaux avec la Chine vont se normaliser progressivement.

Marchés Financiers

Les chocs qui ont marqué l’économie mondiale se sont traduits par un premier semestre éprouvant sur les marchés financiers : nous avons ainsi assisté à de fortes baisses simultanées des marchés actions, des dettes souveraines et des emprunts privés. À terme, des opportunités pourraient commencer à se dessiner en fonction de l’évolution de l’inflation qui ressort comme le déterminant majeur des tendances à venir.

Les banques centrales toujours déterminées

Les banques centrales s’efforcent de manœuvrer au cœur du dilemme auquel elles sont confrontées : la lutte contre l’inflation se déroule au prix d’une augmentation du risque de baisse de la croissance. Leur détermination à arbitrer en faveur de l’inflation est aujourd’hui un fait qui semble acquis. La communication récente, très homogène au sein des grandes banques centrales occidentales, vise à asseoir leur crédibilité tant auprès des agents économiques que des marchés financiers. Et au regard du recul des anticipations d’inflation, l’exercice est plutôt réussi à ce jour.

Les perspectives de hausses des taux d’intérêt nécessaires pour freiner une demande trop forte dans un monde où l’offre est contrainte interrogent toutefois sur les capacités de résilience des économies.

Datastream Crédit Mutuel
Sources : Datastream-Crédit Mutuel Gestion

La multiplication d’indicateurs économiques décevants sur la période récente, particulièrement aux États-Unis, a relancé le débat sur les risques de récession. Interrogé sur le sujet, Jérôme Powell, gouverneur de la FED, n’a pas eu l’air de s’émouvoir d’un scénario de ralentissement trop fort en rappelant qu’il serait encore plus dommageable pour la croissance à long terme que l’inflation ne devienne persistante.

Cette bascule dans le scénario de base s’est traduite par le maintien d’une forte volatilité sur les marchés obligataires. Les évolutions des différents compartiments sont ainsi impactées par les craintes de ralentissement et se traduisent d’une part, par un repli sensible des taux longs pour les emprunts souverains (les taux à 10 ans en France sont ainsi passés de 2,40% à 1,75% en l’espace de trois semaines) et d’autre part, par une hausse des spreads particulièrement forte pour les obligations Haut Rendement exprimant ainsi de possibles tensions sur les taux de défaut.

Si l’on ajoute par ailleurs la baisse sensible des marchés actions, il ressort que les performances négatives des différentes classes d’actifs financiers sont finalement relativement homogènes sur le premier semestre, niant par la même un des éléments structurants de l’allocation d’actifs, à savoir la diversification.

Les incertitudes sont nombreuses

À ce stade, il apparaît que les interrogations sont toujours nombreuses quant à l’orientation des marchés au cours du second semestre, générant un climat d’incertitudes :

  • Quel scénario inflationniste à la lueur notamment des évolutions en matière d’approvisionnement énergétique ?
  • Quel sera le profil de repli de l’inflation après son pic attendu dans les mois à venir ?
  • Quelle sera l’ampleur du ralentissement économique ?
  • Qu’attendre de l’évolution du conflit en Ukraine ?
  • Peut-on anticiper un assouplissement de la politique zéro-covid en Chine ?
  • Et enfin, comment vont évoluer les prévisions de résultats des sociétés ?

Ce dernier point est particulièrement important pour déterminer les tendances à venir en matière de classes d’actifs risqués (actions et obligations à haut rendement). Si jusqu’à présent les prévisions sont relativement stables, faisant ressortir des taux de progression des résultats encore proches de 8/10% en 2022, il nous semble bien que la dégradation relativement rapide du contexte économique pourrait se traduire par des ajustements à la baisse dans les prochaines semaines. À l’heure où la baisse des marchés actions a conduit à une forte contraction des multiples de valorisations, les prochaines communications des entreprises vont être scrutées de près pour juger de leur résilience.

Dans ces conditions, nous demeurons toujours prudents dans notre allocation d’actifs en confirmant l’aspect défensif des positions à l’entame de l’été. Nous ne pouvons exclure une décision unilatérale de la part de la Russie quant à une coupure de l’approvisionnement énergétique de l’Europe qui constituerait un sérieux élément de défiance supplémentaire.

Si la résistance des consommateurs américains et européens est mise à mal par l’inflation, le consommateur chinois dépend lui plutôt des décisions des autorités gouvernementales tant du point de vue de la crise sanitaire que des mesures de relance. Or ces dernières se multiplient confirmant une certaine déconnexion de l’économie chinoise susceptible de prolonger le rebond des marchés observé depuis près de deux mois. La rigidité des confinements sanitaires constitue certes une menace pour la croissance à court terme mais nous considérons que le rythme d’annonces favorables devrait s’accélérer ce qui constitue un facteur haussier pour les marchés asiatiques en général. En contrepartie, la zone latino-américaine est pénalisée par de perspectives plus mitigées sur les matières premières du fait d’une révision baissière du scénario de croissance.

Nous redevenons par ailleurs plus positifs sur le crédit corporate Investment Grade dont les rendements deviennent plus attractifs eu égard à la qualité des signatures offertes par ce segment obligataire. Nous restons par contre encore en retrait du segment Haut Rendement traditionnellement plus exposé en période de récession.

La variable essentielle susceptible de nous faire évoluer dans un sens plus favorable serait constitutive d’une évolution de la posture des banques centrales, dépendante elle-même d’une inflexion significative des données inflationnistes

La bonne nouvelle à ce stade est que l’économie mondiale, malgré un environnement adverse, plie mais ne rompt pas.