La dernière décennie a vu le terme « start-up1 » fleurir sur toutes les lèvres dans l’hexagone. Ces jeunes entreprises innovantes ont rapidement envahi l’imaginaire collectif, nourri par une vague de succès flamboyants outre-Atlantique.
Convaincus qu’il était possible de changer le monde grâce aux nouvelles technologies, séduits par le mythe californien du jeune geek2 qui démarre son entreprise dans son garage pour finir à la tête d’un empire technologique, nombre d’entrepreneurs en herbe ont monté leur projet et rejoint l’un des incubateurs qui essaimaient comme des champignons dans le pays.
En 2019, 62% des Européens de moins de 35 ans3 souhaitaient ainsi travailler dans une start-up plutôt que dans une entreprise traditionnelle et/ou dans l’administration. Des termes de jargon mâtinés d’anglicismes sont rapidement apparus dans leur sillage : on s’est mis à parler scalabilité4 et mindset5, à soigner son pitch6 avant de rencontrer VCs7 et autres business angels8.
Symbole d’une nouvelle ère, celle du smartphone, de l’hyperconnexion, et de technologies de pointe comme l’intelligence artificielle et la voiture autonome, la start-up promettait aussi de redonner un coup de pouce au mythe vacillant de la méritocratie. Remède miracle à un ascenseur social en panne, elle allait soudain permettre à tout un chacun, pourvu qu’il ait une grande idée derrière la tête, de rejoindre le prestigieux club des licornes, ces jeunes pousses valorisées à plus d’un milliard de dollars qui ont fait la fortune de leurs fondateurs.
La réalité statistique écorne toutefois quelque peu ce mythe. Les licornes, si elles sont de plus en plus nombreuses, restent des exceptions. Le terme start-up, usé jusqu’à l’overdose, a aussi commencé à agacer. Caricaturées, raillées, ces jeunes pousses ont bien souvent été réduites à leurs happiness managers9, leurs baby-foot et leur décontraction de façade.
Durant la pandémie, les start-up ont pourtant prouvé que leur utilité était bien réelle. S’appuyant sur leur proverbiale agilité, elles se sont rapidement adaptées à la nouvelle normalité, facilitant le travail à distance, le commerce en ligne, la téléconsultation médicale ou encore la livraison de vaccins.
Mais le virus a aussi entraîné des changements dans la société, et donc dans les attentes des citoyens et des consommateurs. Comment, dans ce nouveau contexte, les jeunes pousses de demain peuvent-elles répondre à ces attentes et aider à résoudre les grands défis sociaux et écologiques, tout en répondant à leurs impératifs économiques ? Voici quelques pistes pour le découvrir.
Les trois missions des start-up du futur
1) Réinventer l’économie : ce que les start-up ont à nous apprendre
Dans un monde de plus en plus numérique et connecté, la réactivité et la capacité d’adaptation au changement, arts dans lesquels les start-up sont passées maîtresses, deviennent de plus en plus importantes.
« Les start-up possèdent une souplesse et une capacité d’adaptation que n’ont pas les grands groupes. Elles peuvent déployer et tester rapidement une idée, puis pivoter s’il s’avère que cette idée ne répond pas à un vrai besoin. Les processus sont plus légers, le recrutement plus rapide, la hiérarchie moins marquée... Car quand on part de zéro, on a plus de facilité à prendre des risques, tandis qu’un grand acteur institutionnel a une marque, une fortune, une renommée à conserver... » analyse Yahya Jarraya, cofondateur d’Astrachain, une jeune pousse spécialisée dans le cloud10.
Cette agilité, cette souplesse dans l’organisation de travail peuvent-elles inspirer les entreprises et le reste de la société ? Les start-up peuvent-elles servir de laboratoire pour réinventer l’économie au XXIe siècle ?
« Oui, on voit de plus en plus de grands groupes qui intègrent des collaborations avec des start-up dans leur chaîne de valeur, ainsi que des modalités de travail inspirées de ces dernières. Cela vient parfois chambouler l’organisation pyramidale autour de laquelle la firme moderne s’est construite », analyse Arthur de Grave, co-fondateur de l’agence Stroika et auteur de start-up nation, overdose bullshit, aux éditions Rue de l’échiquier.
« Les rapports entre start-up et grands groupes peuvent prendre des formes diverses : cela va de la simple imitation de la culture et du langage start-up à l’adoption de méthodes et de modes d’organisation (méthodes agiles, etc.). D’autres poussent plus loin et se lancent dans de véritables démarches d’hybridation, en développant des projets communs pour aboutir à des solutions inédites. »
Pertinent au niveau micro-économique, le modèle de la start-up est-il pour autant tenable à l’échelle macro-économique ? Pour Arthur de Grave, il est permis d’en douter. Il faudra donc, à l’avenir, se garder de la tentation de vouloir gérer l’intégralité de la société comme une start-up. « Les start-up ne peuvent toutefois pas être le seul horizon de changement. En effet, leur horizon n’est pas la concurrence pure et parfaite, mais le monopole. Ce sont des entreprises qui cherchent à croître rapidement, visent une forme d’hyper rentabilité qui, généralisée à l’échelle de la société, n’est par exemple pas compatible avec le plein emploi. »
« Oui, on voit de plus en plus de grands groupes qui intègrent des collaborations avec des start-up dans leur chaîne de valeur, ainsi que des modalités de travail inspirées de ces dernières. Cela vient parfois chambouler l’organisation pyramidale autour de laquelle la firme moderne s’est construite », analyse Arthur de Grave, co-fondateur de l’agence Stroika et auteur de Start-up nation, overdose bullshit, aux éditions Rue de l’échiquier.
« Les rapports entre start-up et grands groupes peuvent prendre des formes diverses : cela va de la simple imitation de la culture et du langage start-up à l’adoption de méthodes et de modes d’organisation (méthodes agiles, etc.). D’autres poussent plus loin et se lancent dans de véritables démarches d’hybridation, en développant des projets communs pour aboutir à des solutions inédites. »
Pertinent au niveau micro-économique, le modèle de la start-up est-il pour autant tenable à l’échelle macro-économique ? Pour Arthur de Grave, il est permis d’en douter. Il faudra donc, à l’avenir, se garder de la tentation de vouloir gérer l’intégralité de la société comme une start-up. « Les start-up ne peuvent toutefois pas être le seul horizon de changement. En effet, leur horizon n’est pas la concurrence pure et parfaite, mais le monopole. Ce sont des entreprises qui cherchent à croître rapidement, visent une forme d’hyper rentabilité qui, généralisée à l’échelle de la société, n’est par exemple pas compatible avec le plein emploi. »
2) Œuvrer pour le réel
Nombre de start-up ont admirablement traversé la crise, en sachant rapidement répondre à de nouveaux besoins concrets nés avec la pandémie ou amplifiés par cette dernière. Certaines ont facilité la communication entre parents et enseignants alors que l’école passait rapidement en ligne, d’autres ont permis de réaliser à distance des activités qui ne se faisaient auparavant qu’en face à face (la souscription d’une assurance habitation, la signature d’un acte notarié...). D’autres, encore, ont participé à la logistique des tests ou des vaccins.
Car les start-up ont plus de facilité que les grands groupes à prendre le pouls de la société pour proposer des solutions concrètes, adaptées aux problématiques actuelles, selon François Dupuy.
« Nombre de grandes entreprises s’appuient sur des études marketing pour tâter le terrain, mais le marketing ne capte pas l’air du temps. Le start-upeur, lui, en est capable : quand il développe une nouvelle idée, c’est qu’il l’a sentie dans l’atmosphère, dans l’environnement social dans lequel il se trouve. Les start-up ont ainsi une plus grande facilité à répondre à des problématiques très concrètes et locales, là où les grands groupes fonctionnent à une échelle plus systémique. Les deux se complètent. »
Selon lui, cette complémentarité donne et continuera de donner un modèle cyclique, dans lequel les grands groupes soutiennent, puis absorbent les start-up, avant de recommencer. « Depuis quelques années déjà, les grands groupes favorisent l’incubation de start-up, en intervenant le moins possible dans leurs affaires pour conserver intacte leur agilité, leur contact avec le réel et leur capacité à innover. Une fois la start-up arrivée à maturité, elle est absorbée par le grand groupe, qui part alors de nouveau en quête de sang neuf. C’est ce modèle qui va permettre demain aux grandes entreprises de répondre aux besoins concrets du public. »
À l’échelle du territoire national, cette dynamique entre start-up et grands groupes peut ainsi permettre de réinventer un modèle économique de proximité. Alors que la société plaide pour un développement recentré sur l’échelle locale, les partenariats avec des start-up peuvent apporter des solutions économiques agiles et innovantes sur le terrain. Pendant le Covid, ces solutions se sont concentrées sur l’aspect sanitaire, mais demain, elles répondront à des enjeux comme l’alimentation, la réindustrialisation ou encore la question énergétique.
« On fait beaucoup rimer « start-up » avec « numérique », mais il y a aujourd’hui des jeunes pousses qui s’efforcent de faire bouger les lignes dans tous les domaines, comme l’agriculture, avec des start-up qui proposent des drones où des algorithmes pour faciliter le travail des agriculteurs, d’autres qui veulent automatiser le désherbage ou le maraîchage à l’aide de la robotique, ou encore optimiser la chaîne de valeur du secteur... », affirme Antoine Hubert, fondateur et président d’Ynsect, une jeune pousse spécialisée dans l’élevage et la transformation des insectes en ingrédients pour les animaux, les poissons, les plantes et les êtres humains.
3) Répondre aux défis sociaux et écologiques
L’essor des start-up est étroitement lié à celui de l’économie numérique. Mais à l’heure où la question climatique gagne de plus en plus les consciences, l’empreinte écologique importante du numérique est de plus en plus mise en avant, et l’air du temps n’est plus à la création de gadgets technologiques dont l’utilité n’est pas toujours évidente. Les entreprises à mission ont aujourd’hui le vent en poupe, la responsabilité sociale est de plus en plus mise sur le devant de la scène, et le public attend des acteurs économiques qu’ils s’engagent et répondent aux grandes problématiques sociales et écologiques.
Demain, les start-up pourraient bien jouer un rôle majeur dans la réponse à ces problématiques, notamment grâce à leur capacité unique à trouver et mettre rapidement en place de nouvelles idées. « On l’a vu pendant le Covid, où des start-up des biotechnologies ont mis au point des vaccins à partir de l’ARN messager, tandis que certains grands groupes ne s’y sont pas risqués. Cette capacité des start-up à développer rapidement de nouvelles solutions intelligentes sera très utile dans la transition écologique. Mais pour reprendre l’exemple des vaccins, il a par la suite fallu l’expertise des grands groupes pour les produire et distribuer à grande échelle... Là encore, la collaboration jouera donc un rôle clef », prédit François Dupuy.
Pour Arthur de Grave, la solution ne peut cependant pas reposer uniquement sur les start-up, ni même sur les entreprises en général. « Evgeny Morozov11 nous mettait en garde contre la tentation du « solutionnisme technologique ». Dans cette période où tout le monde parle désormais d’impact, nous avons intérêt à redoubler de prudence. La résolution de la crise climatique ne pourra se résumer à une succession d’innovations technologiques mises bout à bout. »
Éviter ce réductionnisme implique donc de raisonner à l’échelle de la société, ce qui nécessite aussi de prendre en compte d’autres facteurs que la simple dimension économique. Ce changement de paradigme pourrait bien être le grand défi pour les start-up qui souhaitent avoir un impact positif sur le monde. Leur contribution ne sera vraiment efficace que si elles embarquent également citoyens et États dans la réalisation d’un projet de société souhaitable et ambitieux.
« Toutes les grandes révolutions économiques, des deux révolutions industrielles à celle du numérique, ont été déclenchées par de nouveaux entrants qui pensent différemment et veulent avoir un impact positif sur le monde. C’est aujourd’hui ce qui est en train de se produire autour des enjeux sociaux et écologiques, avec de nombreuses start-up qui s’engagent dans ce sens. C’est pourquoi, de même que toute l’économie s’est aujourd’hui convertie au numérique, je suis certain que demain, toutes les entreprises auront adopté la RSE12, avec des indicateurs concrets, des engagements dans le reporting13, vis-à-vis des actionnaires et des clients », prédit Antoine Hubert.