Comment (télé)travaillera-t-on en 2031 ?

Début mars 2020, alors que le Coronavirus faisait la une de tous les journaux, la plupart des entreprises passaient en quelques jours au travail à distance généralisé. Si nombre d’entre nous sont depuis retournés au bureau, notre rapport au travail a été profondément modifié, et l’adoption de formules hybrides s’est généralisée, avec de nouvelles habitudes à la clef.

Un an et demi après le début de la pandémie, tous les futurs restent ouverts. Certains pensent que l’avenir est au télétravail et ont donné aux salariés qui le souhaiteraient la permission de ne jamais retourner au bureau. D’autres, sont d’avis qu’une entreprise ne peut survivre éternellement à distance et ont souhaité un retour progressif de leurs équipes sur leur lieu de travail.

Mais la plupart des entreprises s’efforcent de trouver un compromis tout en réinventant le bureau pour l’adapter au travail de demain, et satisfaire les huit employés sur dix qui souhaitent télétravailler entre un et trois jours par semaine. Pour ce faire, certaines s’inspirent des espaces de coworking, misent sur le flex office, l’usage de technologies de pointe pour permettre le management à distance, ou encore de nouveaux rituels d’entreprise pour tisser des liens.

Car derrière l’évolution des modes de travail, c’est aussi notre existence et la société dans son ensemble qui se trouvent chamboulées. Demain, comment l’évolution du monde professionnel influencera notre quotidien ? Pour le découvrir, projetons-nous dans dix ans à travers trois scenarii centrés sur l’avenir du travail.

Scénario I : Beaucoup de bruit pour rien

Y a-t-il vraiment eu plusieurs mois durant lesquels une bonne partie des salariés de la planète ont travaillé à distance ? On vient parfois à en douter en cette année 2031, alors que le télétravail généralisé entraîné par la pandémie n’est plus qu’un lointain souvenir.

En dehors des start-ups de l’informatique, la présence des salariés sur site est redevenue la norme, sous l’impulsion de certains grands groupes peu enclins à revenir sur des décennies de pratiques managériales et à faire le deuil des sommes importantes investies en immobiliers de bureaux.

Le retour à la normale n’a pas toujours été facile, la plupart des salariés ayant pris goût au télétravail. Les entreprises ont donc rivalisé d’inventivité et de moyens financiers pour rendre leurs bureaux plus attractifs. Certaines, en souvenir du bon vieux temps, les ont réaménagés pour s’inspirer du domicile, avec grands bars en pierre, cuisines, fauteuils club et même cheminées. Bureaux à hauteur variable ou à tapis mécaniques, permettant de faire son jogging tout en traitant ses mails, font également florès.

Plusieurs méthodes de travail ont été testées et cohabitent, du flex office à l’open space, en passant par le retour des bureaux individuels, que chacun peut personnaliser à sa guise, pour en faire une sorte de petit chez soi.

Si les salariés s’accommodent bon gré mal gré de ce retour au monde d’avant, certains déplorent que le management n’ait pas saisi les opportunités offertes par l’expérience géante de 2020. On est revenus à un management de contrôle et à une structure hiérarchique qui laisse peu de liberté aux salariés. Si en apparence, tout va bien, les grosses structures restent peu agiles, peinent à innover et se font damer le pion par des start-ups qui, elles, ont revu leur organisation après la crise et laissent une plus grande marge d’autonomie à chacun.

Les signaux faibles qui permettent d’entrevoir ce futur dès aujourd’hui :

  • Plus de la moitié des travailleurs s’attendent à retrouver leur routine de travail d’avant le Covid à un horizon d’un an1.
  • « Le télétravail exclusif a perdu en popularité au fil des confinements, on constate que la motivation et la productivité des salariés peuvent en pâtir, il rend le recrutement plus difficile... Le retour au bureau est aujourd’hui souhaité par tout le monde, employés comme entreprises » — Ingrid Nappi, professeur-chercheur à l’Essec Business School, où elle est titulaire de la Chaire Workplace Management et de la Chaire Immobilier & Développementt durable.
  • Les entreprises spécialisées dans le réaménagement des bureaux sont dès aujourd’hui sollicitées pour rendre les espaces d’entreprises plus confortables et accueillants, afin de faciliter le retour des salariés sur leur lieu de travail2.

Scénario II : Une opportunité gâchée

En 2031, les entreprises, séduites par la possibilité de réaliser d’importantes économies en matière d’immobilier et de réinventer le rapport au travail, se sont converties au télétravail généralisé, avec un objectif : reproduire en ligne le bureau physique.

Cela implique de nombreuses visioconférences pour remplacer les réunions en face à face, des chats professionnels où chacun possède un avatar qu’il peut habiller comme il le souhaite, et diverses trouvailles ingénieuses pour recréer les interactions spontanées au bureau, comme des chatrooms aléatoires où l’on est mis en relation avec des collègues piochés au hasard, pour remplacer la machine à café.

Pour aller plus loin, nombre d’entreprises, en partenariat avec les géants du numérique et des professionnels de la réalité virtuelle, œuvrent à la conception d’un métaverse, un monde en réalité virtuelle qui reproduirait l’expérience du bureau sous forme de jeu vidéo immersif et ultra-réaliste. Des versions bêta ont été expérimentées, et si elles demeurent criblées de bugs, on prévoit un décollage de la technologie dans les dix prochaines années.

Paniqués à l’idée que leurs salariés profitent du télétravail pour bayer aux corneilles, les managers recourent à des outils technologiques pour les surveiller à distance. Des algorithmes d’intelligence artificielle récoltent d’immenses quantités de données sur l’activité du clavier et de la souris, ou encore les sites visités par les employés en temps réel. Ils les comparent ensuite avec un modèle type de productivité approuvé par l’employeur, et s’assurent que chacun fasse correctement son travail.

Certes, les employés apprécient de ne plus passer du temps dans les transports et de pouvoir vivre où bon leur semble. Mais comme le veut un adage souvent répété, on ne sait plus très bien si l’on travaille à domicile ou si l’on vit au travail. Le stress introduit par le contrôle de l’intelligence artificielle et les activités virtuelles auxquelles chacun se sent obligé de participer conduisent les salariés à enchaîner les longues journées, et les burnouts se multiplient.

La résistance s’organise : des syndicats demandent une coupure numérique avec interdiction de contacter les employés en dehors de certains horaires, d’autres demandent un audit des logiciels de management à distance qui permettrait de s’assurer qu’ils respectent les travailleurs et n’envahissent pas leur vie privée. D’autres, musant en souvenir du bon vieux temps, demandent tout simplement... le retour au bureau.

Les signaux faibles qui permettent d’entrevoir ce futur dès aujourd’hui :

  • Si l’épidémie nous a fait basculer dans le télétravail en marche forcée, celui-ci ne présente pas que des avantages pour les salariés3 :
    • 52% disent que la présence de leurs collègues leur manque,
    • 38% disent que leur domicile est un endroit difficile pour être productif,
    • 37% se sentent désengagés de leur travail lorsqu’ils travaillent à domicile,
    • 33% se sentent plus épuisés par le travail lorsqu’ils travaillent à domicile.
  • « Le télétravail tel qu’il a été mis en place en 2020-21 a été subi par les employés et les entreprises, sans aménagements dédiés. Le futur du travail doit être aménagé sur la base d’accords communs, prenant en compte des plages horaires, des modes d’encadrement adaptés, de la prise en charge matérielle et technique (connexion, énergie). Il faut différencier le télétravail du télétravail subi, qui a mené à une dégradation des conditions de travail » — Ingrid Nappi, professeur-chercheur à l’Essec Business School.
  • Plusieurs projets de metaverses, à la croisée du jeu vidéo, du réseau social et de la réalité virtuelle, sont déjà en cours d’élaboration4.

Scénario III : Le meilleur des mondes

Se conformant aux préférences des salariés, qui plébiscitent le télétravail tout en restant attachés au bureau, les entreprises se sont converties à un modèle flexible et hybride, qui donne aux employés la possibilité de travailler de chez eux plusieurs jours par semaine.

À l’envers d’un schéma souvent mis en avant, on vient principalement au bureau pour se concentrer et bénéficier d’un calme que, famille ou colocataires obligent, on ne trouve pas toujours à la maison. À l’inverse, nombre d’activités sociales sont réservées au télétravail, comme les réunions qui ont désormais lieu quasi uniquement à distance.

Les entreprises se sont également saisies de l’opportunité offerte par la réorganisation massive du monde du travail pour expérimenter de nouvelles formules. Certaines, parce que leur modèle économique le permet, ont réduit le nombre d’heures hebdomadaires, voire sont passées à la semaine de quatre jours, constatant un impact positif sur la productivité, la créativité et la réduction du stress5. D’autres laissent à leurs salariés la possibilité de consacrer entre 10 et 20% de leur temps de travail à des projets personnels ou des œuvres caritatives.

D’autres, encore, ont aplani leur hiérarchie, donnant davantage d’autonomie à chaque salarié. À l’heure où le nombre d’indépendants augmente6, le travail salarié s’autonomise, et les employés sont en demande d’une marge de manœuvre qui lorgne du côté des auto-entrepreneurs.

Du même coup, les entreprises changent de forme : les bureaux gigantesques centralisés dans la capitale appartiennent au passé, et la plupart d’entre elles possèdent désormais des bureaux de taille plus modeste répartis dans différentes villes moyennes, entraînant une redynamisation de ces dernières et permettant à chacun de choisir le cadre de vie qui lui correspond le mieux tout en limitant ses déplacements, et donc son impact écologique. L’entreprise en réseau s’inscrit ainsi dans une nouvelle vision sobre et durable de l’économie : on vit plus localement, plus lentement, et dans un cadre plus agréable. Tout le monde en sort gagnant.

Les signaux faibles qui permettent d’entrevoir ce futur dès aujourd’hui :

  • 77% des salariés sont favorables au télétravail partiel. Pour ceux qui ont vécu le télétravail au cours de la dernière année, celui-ci a eu un impact positif sur leur sentiment d’autonomie (61%, contre 7% d’avis contraires), leur bien-être de façon générale (56%, contre 13%), leur productivité et efficacité (55%, contre 11%) ou encore leur investissement dans leur travail (53%, contre 11% qui pensent le contraire)7.
  • Plusieurs entreprises américaines ont décidé de profiter de la pandémie pour passer à la semaine de quatre jours8.
  • Le local a déjà le vent en poupe : « Dès aujourd’hui, on voit des initiatives se développer dans les grandes villes et plus largement sur les territoires pour recréer de la mixité fonctionnelle. Citons par exemple la ville du quart d’heure de Carlos Moreno ou le plan national Action Cœur de Ville. Cela prend également la forme d’initiatives individuelles, encore rares, avec des consultants qui n’acceptent plus les missions situées à plus de 200 km de chez eux. Dans l’avenir, on peut même imaginer qu’il y ait des quotas carbone individuels, système envisagé par l’ADEME dans les scénarios de neutralité carbone à l’horizon 2050. » affirme Julie Rieg, sociologue indépendante et fondatrice de Change it Use it.

Conclusion : chaque crise offre l’occasion de se réinventer, et l’épidémie de COVID-19 ne fera pas exception. C’est une formidable période d’expérimentation qui s’ouvre pour les entreprises, susceptible de déboucher sur une réorganisation du monde du travail apte à mieux satisfaire toutes les parties prenantes. Quelle que soit la direction adoptée par les acteurs économiques, les dix prochaines années seront, à n’en pas douter, passionnantes à suivre.

1 Enquête Ipsos menée entre le 21 mai et le 4 juin 2021 auprès de près de 12 500 adultes actifs dans 29 pays.

2 Les Echos Start - Camille Wong - 30 juin 2021 - Retour au bureau : les initiatives des entreprises pour faire revenir leurs salariés.

3 Enquête Ipsos menée en ligne entre le 21 mai et le 4 juin 2021 auprès de près de 12 500 adultes actifs dans 29 pays.

4 Usbek & Rica - Fabien Benoit - 10 novembre 2016 - En 2050, Facebook ressemblera-t-il à Second Life ?

5 The Atlantic - Joe Pinsker - 17 juin 2021 - Kill the 5-day workweek

6 Forbes - Elaine Pofeldt - 17 octobre 2017 - Are We Ready For A Workforce That is 50% Freelance?

7 Enquête Ipsos menée du 15 au 24 décembre 2020 auprès d’un échantillon représentatif de 1000 salariés français âgés de 18 ans et plus.

8 Business Insider - Katie Canales - 26 juin 2021 - Corporate America is starting to embrace the 4-day workweek. These 7 companies have adopted it or are considering the change.