Panorama économique
Les semaines se suivent et ont tendance à se ressembler. Depuis l’élection du président américain, et plus précisément à partir de la fameuse date du 2 avril dernier, qualifiée de « jour de libération », la principale préoccupation de nombreux acteurs économiques est toujours liée aux futures relations commerciales entre les Etats-Unis et leurs partenaires économiques. Celles-ci dépendront de la tarification finale des droits de douane sur les importations américaines. Or à ce jour, après une période de « décrispation » qui avait suivi de fortes tensions entre l’Amérique du nord et les autres zones géographiques, la situation ne semble guère évoluer avec l’Europe, et reste très incertaine avec la Chine. Ce contexte peut toutefois évoluer à tout moment. Des discutions constructives entre Donal Trump (ou ses équipes) et les leaders politiques chinois (Xi Jinping) et européen (Ursula von der Leyen) pourraient potentiellement redonner plus de visibilité sur les perspectives économiques mondiales.
De nombreuses incertitudes sur le plan économique
En attendant, l’incertitude prédomine. Dans un tel environnement, les économistes révisent à la baisse leurs projections de variation du PIB des grandes nations, tant sur l’horizon 2025 que 2026. C’est notamment le cas de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) qui reste prudente sur ses estimations de progression de la croissance mondiale et des grands pays. Les prévisions de l’exercice actuel (cf. tableau ci- contre) demeurent toutes inférieures à la moyenne des statistiques enregistrées sur la période de 2013 à 2019 (avant Covid). C’est notamment le cas pour les Etats-Unis, dont la croissance est attendue à +1,6% cette année, avant de s’inscrire à +1,5% en 2026.

Il est vrai que les indicateurs avancés américains montrent toujours une relative défiance de la plupart des acteurs économiques qui craignent notamment une disruption des chaines de production et un risque de reprise de l’inflation, dont les causes seraient une trop forte hausse des taxes douanières sur les produits importés. L’exemple le plus marquant est l’ISM des services en mai qui repasse en territoire de contraction (c’est-à-dire sous la barre des 50 points) pour la 1ère fois depuis un an. Mais ce sont les sous-composants de cet indicateur avancé qui sont inquiétants.
Les nouvelles commandes « s’écroulent » littéralement, cédant 5,9 points à 46,4, laissant ainsi présager un futur plus délicat. Dégradation également du sous indicateur ISM des prix payés qui illustre l’hypothèse d’une hausse de l’inflation dans les prochains mois.
En parallèle, il faut également ajouter des inquiétudes sur d’autres sujets. Le marché de l’emploi a été jusqu’à présent relativement résilient, mais la situation pourrait se dégrader progressivement, et impacter la motivation des ménages à consommer. Enfin, dernier point non négligeable qui risque d’handicaper sensiblement l’activité outre Atlantique : quelle sera la trajectoire de la dette américaine en tenant compte des demandes du locataire de la Maison Blanche ? En effet, comme le montre le graphique ci-dessous, le CBO (Congressional Budget Office) anticipe une nette dégradation des finances publiques, dans la mesure où D. Trump souhaite toujours mettre en place les projets de sa campagne électorale qui visaient à baisser la fiscalité des ménages et des entreprises américaines. Mais il faudrait en compensation trouver des ressources complémentaires qui devaient émaner à l’origine des réductions des dépenses publiques (le fameux bureau DOGE d’Elon Musk), des recettes supplémentaires liées à la croissance, et enfin du surplus de la tarification des droits de douane. Face aux doutes sur la capacité des responsables politiques de maîtriser le déficit actuel, des tensions sur les marchés obligataires pourraient de nouveau apparaître, et menacer les perspectives de croissance des Etats-Unis.

Des espoirs de renouveau pour l’Europe
L’Europe continue à susciter l’intérêt des économistes depuis la nomination officielle du nouveau dirigeant politique allemand Friedrich Merz. En effet, ce dernier souhaite redonner de la visibilité à l’économie de son pays en lançant un vaste plan d’investissement qui pourrait dépasser le montant des 1 000 milliards € lors de la prochaine décennie. Ces capitaux devraient servir à financer de nombreuses dépenses d’infrastructures, alléger la fiscalité des ménages et des entreprises, faciliter la transition environnementale et augmenter sensiblement les dépenses dans le secteur de la défense (comme dans de nombreux autres pays européens). Mais, il conviendra de concrétiser tous ces projets alors que quelques personnages politiques allemands sont encore réticents à dégrader les finances publiques de leur pays. Sans remettre en cause les effets favorables de tels choix sur les perspectives de croissance de la zone euro, certains spécialistes pensent que les effets positifs de ce plan allemand ne se concrétiseront qu’à partir du début de l’exercice 2026. Si les prévisions de croissance de la zone euro ont été réévaluées à la hausse depuis ces annonces (PIB en progression de +1,2% selon le consensus l’année prochaine), il faut néanmoins constater que les indicateurs avancés sont légèrement décevants à court terme. C’est ainsi que l’indice PMI composite de la zone euro reste en modeste expansion en mai à 50,2, impacté par l’incertitude sur un éventuel compromis (avant le 9 juillet) concernant la tarification des exportations européennes outre-Atlantique. Néanmoins, deux autres facteurs sont toujours dans une configuration positive : la nouvelle baisse des taux directeurs de la BCE à 2%, et la bonne tenue des prêts bancaires à destination du secteur privé (cf. graphique ci-dessous).

Marchés Financiers
Calme en eaux troubles
Le violent rebond de marché initié fin avril s’est poursuivi en mai, nourri par l’espoir que les négociations entre D. Trump et les principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis se soldent par des droits de douane relativement modérés pour l’économie mondiale. Le président américain a par ailleurs habilement détourné l’attention des marchés vers son plan de relance fiscal et budgétaire « The Big Beautiful Bill », qu’il espère voir signé par le Sénat d’ici le 4 juillet, visant à relancer l’activité économique et la consommation domestique. Parallèlement, les derniers chiffres relatifs à la santé de l’économie réelle (mais qui n’incorporent pas encore les effets direct et indirects des droits de douane) corroborent l’hypothèse du consensus de marché selon laquelle le risque de récession serait désormais derrière nous.
L’aversion au risque qui prévalait début avril s’est donc inversée en mai. Après un vif rebond, le calme est de retour sur les marchés qui ont retrouvé, voire dépassé leurs points hauts, effaçant ainsi l’impact supposé des droits de douane sur la croissance, l’inflation et les fondamentaux des entreprises.

Une croissance mondiale plus résiliente que prévu, des niveaux d’endettement plus élevés mais des contextes d’inflation différenciés.
Si l’horizon semble plus dégagé que début avril, un certain nombre d’incertitudes demeurent qui alimenteront la volatilité sur les marchés dans les semaines à venir. La désescalade des tensions entre les US et la Chine est de meilleure augure pour la croissance mondiale... Néanmoins nous restons dans l’expectative quant aux conclusions des négociations tarifaires et leurs répercussions. D’autre part, le projet budgétaire de Trump maintiendra vraisemblablement le niveau de déficit américain à environ 6,5% du PIB, ce qui signifie que le fardeau de la dette publique aux États-Unis continuera d’augmenter. Enfin, si le scénario du pire semble moins probable, le risque de stagflation outre-Atlantique ne peut être totalement écarté. Le consensus a somme toute révisé ses attentes de croissance du PIB américain à la baisse à +1,6% pour 2025, tandis que les prévisions d’inflation (répercussion des tarifs douaniers sur les prix et choc sur l’offre de produits) restent bien supérieures à l’objectif fixé par la Réserve Fédérale américaine. Ce risque inflationniste constitue un réel handicap pour la Fed dans sa capacité à venir au secours des marchés en cas de fléchissement de la croissance. En Europe, les perspectives de croissance ne sont pas bien rose sur 2025 (+0,7% attendus) puisque les effets liés au plan de relance et d’investissement allemand ne se matérialiseront pas avant 1 à 2 ans sur l’économie réelle. Pour autant il sera plus facile pour la Banque Centrale Européenne de soutenir la croissance puisque la baisse des prix de l’énergie et le choc négatif des tarifs sur les exportations devraient contribuer à faire baisser l’inflation en zone Euro. Comme aux Etats-Unis, il sera pour autant compliqué pour les différents gouvernements européens d’alléger le poids de leur dette et de réduire les déficits budgétaires via des hausses d’impôts compte tenu des agendas politiques à venir.
Quels sont les implications en matière d’allocation d’actifs ?
Le rebond des marchés financiers auquel nous avons assisté s’explique en grande partie par une expansion des multiples de valorisation alors que les consensus sur les attentes de bénéfices par actions sur 2025 étaient révisés à la baisse sur les principales zones géographiques ces dernières semaines. Sur les niveaux actuels (19x ratio de prix/bénéfices par actions), les multiples de valorisation des actions mondiales demeurent proches des points hauts historiques (21x) ce qui tend à réduire le potentiel d’appréciation des actions et laisse moins de place à une éventuelle déception sur la croissance et les fondamentaux des entreprises.
Eu égard aux incertitudes sur l’évolution des fondamentaux économiques, il nous semble plus prudent de conserver une exposition neutre sur les actifs risqués.
La surperformance des actions européennes va-t-elle perdurer ?
Depuis le début de l’année les actions européennes sont en hausse de 9%, soit 6 points de mieux que les actions américaines. L’inversion d’une tendance long terme de sous-performance s’explique par :
- l’espoir que les entreprises européennes renouent avec une croissance durable grâce à des investissements productifs sous l’impulsion du plan de relance allemand,
- la remise en question de « l’exceptionnalisme » américain,
- l’appréciation de l’euro vs le dollar et donc 4/un retour de flux acheteurs sur les actions européennes. Les valorisations des actions européennes ont rebondi pour retrouver leur niveau médian sur 20 ans.
Le sentiment sur la classe d’actifs n’est pas encore euphorique et le besoin de diversification des portefeuilles internationaux pourrait contribuer à la poursuite de flux acheteurs sur la zone. Pour que cette tendance perdure à moyen terme les entreprises devront néanmoins combler l’écart de rentabilité des fonds propres (RoE) qui les sépare encore de leurs concurrentes américaines.

Quel potentiel sur les actions américaines et sur les grandes valeurs technologiques ? Avant que les problématiques des droits de douane ne prédominent, la préoccupation principale des marchés portait cette année sur la pérennité de « l’exceptionnalisme » américain face à l’émergence de nouveaux entrants dans le domaine de l’IA (tel Deepseek). Si l’on en juge par le niveau de valorisation des actions américaines relativement à l’Europe ou au Japon, la conclusion quant à leur cherté est claire. Pour autant les actions américaines offrent un potentiel de croissance de bénéfices et un niveau de marges nettes plus élevés, et cela principalement grâce au secteur technologique qui représente désormais 35% des bénéfices totaux du marché américain (vs 19% il y a 10 ans) associé à une forte rentabilité. Ces anticipations sont-elles réalistes ? Pour que les grandes valeurs technologiques puissent maintenir leur croissance et leur rentabilité à moyen terme, elles doivent réaliser des investissements pour lesquels le potentiel de croissance et de rentabilité est au moins équivalent aux niveaux actuels. Dit autrement, Meta, Microsoft, Alphabet et Amazon parviendront elles à monétiser les $596 milliards d’investissements prévus en 2025 (+35% vs les $440mds déjà investis en 2024) ? La question reste ouverte alors que la compétition dans le secteur de l’IA devient de plus en plus rude et que ses ramifications chiffrées sur le reste de l’économie restent encore difficiles à mesurer.
Dans cet environnement incertain nous préconisons toujours de diversifier les expositions des portefeuilles en termes géographiques et par classe d’actifs de façon à faire face à deux types de risque : l’un sur la croissance et l’autre sur l’inflation.
Sur la partie obligataire nous privilégions toujours la courbe européenne compte tenu de niveaux de rendement attractifs, d’une inflation contenue dans la zone Euro et d’éventuelles baisses de taux supplémentaires de la part de la BCE. Nous préférons les obligations privées aux obligations souveraines puisque contrairement à ceux des Etats, les bilans des entreprises restent sains et le portage offert par la classe d’actifs offre un coussin confortable face aux risques liés à une éventuelle décélération de la croissance. Sur les devises, bien que la baisse du dollar ait récemment marqué une pause, nous restons prudents à long terme. Au sein des actions, nous maintenons une exposition neutre sur les actions européennes et américaines. Les actions émergentes demeurent plus attractives de par un potentiel de croissance plus important, des fondamentaux solides et des niveaux de valorisation encore très raisonnables. Enfin, historiquement la baisse du dollar est plutôt favorable à la classe d’actifs.