Panorama économique
Une croissance revue à la baisse
Depuis l’élection présidentielle aux États-Unis en novembre 2024, l’actualité économique s’est essentiellement concentrée autour des commentaires quotidiens du président D. Trump, dont la plupart sont liés à la mise en place d’une sensible augmentation de taxes douanières sur les importations américaines. Ce sujet, devenu capital à court terme, pourrait remettre en cause la « bonne marche » du commerce international, et modifier l’équilibre entre des zones de production à bas coût et le fait de permettre aux ménages des pays développés d’accéder à des produits à prix raisonnables.
Face à ce nouveau contexte délicat, le FMI vient de mettre à jour ses prévisions de croissance pour l’ensemble des zones géographiques. Phénomène rarement vu hors choc exogène, les prévisions de progression du PIB mondial sont révisées de -0,5 point en l’espace de 3 mois, pour afficher une hausse limitée à +2,8% en 2025, soit nettement moins que la moyenne historique de +3,7% observée entre 2000 et 2019.

Le FMI précise que toutes les principales zones géographiques seront impactées négativement par l’instauration de ces nouvelles règles fiscales imposées par le gouvernement républicain outre-Atlantique. Parmi celles-ci, les États-Unis sont également concernés. Avant même les annonces spectaculaires du 2 avril concernant les nouveaux droits de douane américains, la croissance US s’est contractée de 0,3% (chiffre annualisé) sur le 1er trimestre 2025, donnée inférieure au consensus qui s’attendait plutôt une progression de +0,2%. La forte hausse des importations explique en premier lieu cette statistique décevante. Faut-il alors considérer que l’Amérique du nord vient de rentrer en récession ? Un tel scénario semble également crédible quand on examine la plupart des statistiques dites « soft data ». Ces dernières font référence aux enquêtes de confiance des principaux acteurs économiques, et déterminent en général la tendance de l’activité des six prochains mois. Or, l’évolution du moral des chefs d’entreprises, mesuré par le PMI composite, se dégrade en avril, et atteint son point le plus bas depuis septembre 2023 à 50,6. Il en est de même pour les consommateurs américains, comme le souligne la dernière étude du Conference Board. Cet indicateur chute de 6,6 points le mois précédent à 96,5, et touche son niveau le plus faible depuis juillet 2022. Les ménages américains craignent notamment une progression de l’inflation à court terme liée à la hausse des taxes sur les produits fabriqués à l’étranger (surtout en Chine). Dans ces conditions, le repli du pouvoir d’achat des américains impacterait la consommation domestique, facteur le plus représentatif de la croissance des États-Unis. Cependant, la réalité économique apparaît moins inquiétante. En effet, les données de l’économie réelle américaine demeurent résilientes. C’est notamment le cas des chiffres de l’emploi qui restent robustes. Le taux de chômage du mois d’avril est toujours proche des plus bas historiques à 4,2%, et les créations d’emplois sont encore largement positives (+177 000). Les ventes de détail sont également bien orientées sur le 1er trimestre. Dans ces conditions, si le président américain souhaite rapidement « lever » les incertitudes quant aux relations commerciales avec ses principaux partenaires (la récente désescalade des tarifs douaniers vis-à-vis de la Chine va dans ce sens), la croissance américaine pourrait alors rebondir dès le second trimestre, comme indiqué dans le graphique ci-dessous.

Toutefois, avant de valider définitivement ce scénario, il faudra s’assurer que la reprise de l’inflation prévue dans les prochains mois soit limitée et temporaire, afin de permettre à la Fed de relâcher sa politique monétaire au second semestre ou l’année prochaine.
L’Europe pourra t’elle tirer son épingle du jeu ?
Une fois n’est pas coutume, la progression du PIB européen au 1er trimestre a surpris positivement avec une hausse de +0,4% grâce à une demande domestique plus soutenue. Faut-il alors prendre le risque d’en tirer des conclusions, et espérer dès à présent un rebond de la conjoncture au sein de la zone euro ? Comme aux États-Unis, ces chiffres sont à nuancer. En effet, les publications des derniers indicateurs avancés ne montrent toujours pas de réelle amélioration de la conjoncture. La confiance des chefs d’entreprise (indices PMI) et des ménages de la zone euro ne permet pas de se projeter dans un grand optimiste économique. Bien au contraire, à court terme, le « bras de force » commercial américain à l’encontre des européens se traduit par de nouvelles révisions à la baisse des projections de croissance sur l’exercice actuel. Cependant, la plupart des économistes vont s’interroger maintenant sur la capacité du nouveau Chancelier allemand Friedrich Merz à rendre opérationnel son plan de relance. Ce dernier, comptabilisé à hauteur de 1 000 à 1 500 milliards € sur la durée, est censé relancer durablement l’économie allemande avec deux secteurs prioritaires : les infrastructures et la défense. Si l’intégralité de ce capital, dont une partie est financée par une dégradation de l’endettement public (de 60% à 80%), est effectivement dépensée, la croissance pourrait alors logiquement dépasser la barre des 1% en 2026, comme illustrée dans le schéma ci-dessous.

Au-delà de la situation spécifique outre-Rhin, la zone euro pourrait également profiter de la baisse des prix de l’énergie qui avait sensiblement handicapé cette zone géographique lors du conflit russo-ukrainien. En parallèle, l’inflation devrait continuer sa normalisation et revenir vers la barre des +2%, permettant ainsi de légitimer la poursuite de l‘assouplissement monétaire de la BCE. Le taux directeur principal pourrait donc logiquement se positionner dans quelques mois sur le niveau de 1,5%.
Marchés Financiers
« Tout nuage n’enfante pas une tempête » – cette citation de William Shakespeare illustre bien le revirement de tendance auquel nous avons assisté sur les marchés entre l’annonce de tarifs douaniers considérables imposés par les États-Unis lors du Liberation Day début avril et celle, juste un mois plus tard, d’un compromis tarifaire trouvé avec la Chine.
Une visibilité qui reste faible
Les cumulonimbus qui avaient très fortement assombri les perspectives de croissance de l’économie mondiale, et fait fléchir les marchés financiers, se sont ainsi subitement dissipés. Contre toute attente, la décision le 9 avril d’une pause dans l’application des prélèvements douaniers incrémentaux pour la plupart des pays, puis plus récemment, l’accord ramenant les droits de douane des États-Unis et de la Chine de 145% à 30% (biens chinois importés aux USA) et de 125% à 10% (importations américaines en Chine) sur une période de 90 jours, ont dégagé l’horizon assombri par les craintes d’une guerre commerciale. Après avoir baissé de plus de 11% (indice MSCI World) début avril, les actions mondiales ont très fortement rebondi pour quasiment retrouver leurs plus hauts annuels atteints début mars. Si ce rayon de soleil est bienvenue après une météo agitée, la visibilité demeure relativement faible tant la présidence Trump se caractérise par une grande imprévisibilité.
Certes, la consommation des ménages américains, qui représente environ 70% du PIB des États-Unis, demeure très résiliente (les ventes au détail sont en hausse de 6,8% en avril sur un an). C’est aussi le cas pour le marché du travail (le taux de chômage est stable à 4,2%, les salaires horaires sont en hausse de 3,8%). Les entreprises américaines ont également surpris positivement le consensus en publiant des bénéfices en hausse de 12,8% au cours du 1er trimestres, portés par une demande robuste et une gestion efficace des coûts.
La probabilité d’une récession se réduit mais elle ne peut être écartée.
L’incertitude quant à l’issue des négociations douanières reste encore très élevée et pèse sur la confiance de l’ensemble des acteurs économiques. À ce stade, les entreprises qui prennent leurs décisions sur des faits et non sur les dernières déclarations politiques, sont restées muettes quant à l’impact des hausses tarifaires sur leurs perspectives de croissance, leur rentabilité et l’éventuelle nécessité de repenser leur stratégie dans un contexte de refonte des équilibres du commerce mondial. Parallèlement, face à une dégradation notable de leur sentiment de confiance, les consommateurs pourraient réduire leurs dépenses pour reconstituer leur épargne.
Ainsi, bien que la désescalade ait écarté la perspective d’une récession outre-Atlantique, la croissance n’en demeure pas moins fragilisée.
Elle pourrait atteindre un point bas à 0,5% -1% au deuxième trimestre aux États-Unis. Les hausses de taxes s’accompagneront vraisemblablement aussi d’une hausse de l’inflation américaine au-delà des niveaux de 2% ciblés par la Réserve Fédérale Américaine. Il sera donc compliqué à court terme pour celle-ci de baisser ses taux directeurs afin de stimuler la croissance.
La marge de manœuvre de l’administration Trump pour stimuler l’économie via un assouplissement fiscal est également bien plus étroite dans la mesure où :
- les réductions de coûts promis par Elon Musk et le DOGE restent marginales,
- les recettes issues des hausses douanières seront plus faibles qu’espéré,
- les hausses de taux d’intérêt qui évoluent désormais autour des 4,4% alourdissent les charges financières et la dette publique américaines.
La situation en Europe et en Chine semble un peu mieux orientée (cf. graphiques de surprises économiques ci-dessous). En Europe le schéma est plus simple. Les freins douaniers qui pèsent sur la reprise économique et une inflation réduite par la hausse de l’Euro parallèle à la baisse des prix de l’énergie permettront à la BCE de baisser ses taux pour soutenir l’activité. Par ailleurs le plan de relance considérable annoncé par l’Allemagne (800 milliards d’euros pour les dépenses en infrastructure ainsi que 300 milliards d’euros pour le plan défense – soit 20 points de PIB au total sur 10 ans) constitue un réel changement de paradigme pour l’économie européenne.
En Chine, les plans de relance budgétaires et les baisses de taux devraient être en mesure d’amortir une grande partie de l’impact négatif des hausses de tarifs douaniers. Les soutiens à l’investissement et à la consommation domestique devraient permettre d’atteindre une croissance du PIB de 4-5% en 2025.

Quelles sont dès lors les implications en matière d’allocation d’actifs ?
Au regard du fort rebond et des niveaux de valorisation atteints, il nous semble que les marchés actions ont déjà intégré beaucoup de bonnes nouvelles et cela malgré une visibilité qui demeure très réduite. Des droits de douane américains susceptibles d’être multipliés par 6 comparés à ceux qui prévalaient en début d’année auront indéniablement un impact sur l’économie réelle. Si le retour à un dialogue constructif a pu rassurer les marchés financiers, nous maintenons une position neutre sur les actifs risqués.
Diversifier son allocation d’actifs
À l’intérieur de la poche actions il nous semble essentiel de diversifier les allocations géographiques de manière à accroitre la robustesse des portefeuilles. Le retour d’une politique mercantiliste aux États-Unis et la rupture de l’architecture géopolitique d’après-guerre garante de la sécurité mondiale ont engendré une certaine défiance à l’égard des actifs américains comme en témoigne la faiblesse persistante du dollar.
Parallèlement, la transition en cours en Chine d’une économie jusqu’ici tournée vers l’export pour privilégier l’essor de la consommation domestique permet au pays d’adopter une attitude plus ferme à l’égard des États-Unis.
La force de la marque « Made in USA » et l’hégémonie des « Sept Magnifiques » nous semblent également fragilisées par les moyens colossaux mis en place par la Chine pour placer ses entreprises technologiques en position de réels challengers.
Enfin, l’Europe connaît une renaissance structurelle soutenue par une nouvelle dynamique d’investissements susceptible de soutenir la croissance et la productivité des entreprises. Ces éléments pourraient donc réduire l’écart de valorisation qui s’est creusé depuis quinze ans avec les États-Unis.
Dans cette optique, notre regard se tourne également vers le Japon. L’économie du Soleil Levant est indéniablement exposée à la croissance mondiale puisque deux tiers des profits des entreprises nippones proviennent de l’international. Pour autant, les exportations vers les USA ne représentent que 3,5% du PIB du pays. Les réformes initiées par Shinzo Abe ont permis de sortir le Japon de sa spirale déflationniste, ce qui se matérialise par une hausse de la demande intérieure (soutenue par les hausses de salaires), un retour du « pricing power » et de l’investissement des entreprises, et donc une croissance solide des bénéfices (attendus en hausse de +9% en 2025). Les actions japonaises demeurent sous évaluées. L’appréciation du Yen vs USD n’est pas très positif pour les entreprises rapatriant leurs profits au Japon mais pour autant la devise a joué un véritable rôle de valeur refuge lors des épisodes de volatilité récents.
Du coté obligataire, le cycle d’assouplissement monétaire enclenché et les rendements actuels restent favorables à la classe d’actifs. Ils permettent d’absorber une partie de la volatilité aussi bien sur les taux que sur les spreads (rendement incrémental requis sur les obligations privées pour compenser le risque de défaut). Géographiquement, les obligations européennes, bien qu’offrant des rendements plus faibles, pourraient profiter de baisses de taux plus prononcées. Cela leur confère un potentiel d’appréciation supplémentaire relativement aux obligations américaines. Du coté des obligations privées, nous privilégions toujours les obligations européennes compte tenu de la solidité financière des entreprises de la zone. En termes de duration nous maintenons les positions en l’état, les baisses de taux attendues nous semblent déjà bien identifiées par le marché. Concernant les devises, nous sommes toujours prudents sur le dollar face à la défiance des investisseurs à l’égard des actifs américains et sommes favorables au Yen.
