Longue vue - L’investissement local est-il une voie d’avenir ?

Investir sur ses terres, un pari d’avenir ?

« Small is beautiful1 » dit la célèbre formule née dans les années 70 pour appeler à construire « une société à la mesure de l’homme ». Un demi-siècle plus tard, l’idée est plus que jamais d’actualité, et questionne notre rapport aux phénomènes de mondialisation. Le « local », quelle que soit son échelle, est devenu une valeur refuge face aux excès du globalisme, sans pour autant les remettre véritablement en question. Dans ce contexte, la considération d'une forme de responsabilité territoriale a pris une place majeure dans la gestion des entreprises et du patrimoine.

Pour traiter cette question, nous avons mis en regard l’analyse de Jérôme Fourquet, essayiste, analyste politique et directeur du département Opinion et Stratégies d'Entreprise de l’IFOP (Institut français d’opinion publique), et l'expérience de terrain de Christophe Chevalier, entrepreneur chevronné et Directeur Général du groupe Archer. Tous deux soulignent la valeur symbolique, l’importance sociétale et le potentiel économique d’un investissement pensé à travers le prisme du territoire.

Le sens du « quelque part »

86% des Français se disent prêts à privilégier une marque agricole et alimentaire de leur région. Ils sont également 46% à citer la région comme étant l’échelon le plus à même de répondre aux défis d’avenir (Source : IFOP). Pour Jérôme Fourquet, cet attrait du local s’explique par un faisceau de facteurs, oscillant du plus symbolique au plus pragmatique. Le local renvoie d'abord à une forme d’authenticité, et répond à « un besoin assez fort de réancrage, face à une globalisation peut-être trop anonyme ou déshumanisante ». Il répond à une quête de souveraineté, récemment amplifiée par « la prise de conscience de la fragilité dans laquelle se trouve le pays vis à vis de certaines productions absolument essentielles ». L’ancrage local répond également aux aspirations écologiques en favorisant les circuits-courts. Il redonne du sens à la consommation, « en réduisant les chaînes de valeur et en proposant des produits, des objets, et des services issus du bassin de vie des français ».

Pour les entrepreneurs, les investisseurs et les agents économiques en général, le lien au territoire transcende souvent la pure rationalité économique. « C’est un projet de vie pour moi. Je suis fier d’avoir participé à relancer une activité qui fait partie de l’ADN de la ville », explique Christophe Chevalier, en référence à la participation centrale du Groupe Archer dans le renouveau de la chaussure à Romans-sur-Isère. Pour penser l’attrait du local, Jérôme Fourquet reprend la dichotomie développée par l’essayiste britannique David Goodhart, qui oppose les « Somewhere2 » - ancrés dans un territoire et attaché à cette identité - aux « Anywhere3 », plus mobiles et que l’on décrit parfois comme les gagnants de la mondialisation. Dans cette dualité, le local incarne une réponse aux excès de l’optimisation ou de l'hyper-distribution du travail et de la production. « Les entreprises ont charge d’âme et ont à coeur de développer le territoire dans lequel elles ont été créées, ça devient une responsabilité sociétale », précise Jérôme Fourquet.

Les cercles vertueux du local

La force d’une valorisation locale du patrimoine s'étend au-delà de la dimension symbolique ou des questions de responsabilité. Elle porte en effet un certain nombre d’opportunités économiques. Alors que 23% de la valeur ajoutée totale créée en France par les entreprises est issue des PME, ces dernières jouent un rôle décisif dans la survie des territoires (Source : economie.gouv.fr). « Les régions qui s'en sortent le mieux sont celles qui ont su conserver un tissu économique local dynamique », explique Jérôme Fourquet. Le plus souvent, ce dynamisme est porté par une vraie capacité à collaborer. « Il y a des territoires où cette culture du travail en commun, de la mutualisation de la coopération est plus développée que d'autres », précise Jérôme Fourquet en citant l’écosystème Vendéen, les Savoies, la Bretagne ou l’Alsace. Au-delà des entreprises, ces logiques de collaboration concernent également les habitants, dont la voix porte mieux à l’échelon local. La dynamique « Start-Up4 de Territoire », développée par le groupe Archer, s’attache à valoriser cette proximité. « On ne fabrique pas de produit ou de service avant de voir s’il y a une clientèle, on part des besoins des personnes qui habitent le territoire. C’est une manière de remettre un peu de démocratie dans l’économie », explique Christophe Chevalier. Le projet coopératif de consigne solidaire « Ma Bouteille s’appelle reviens », développé à l’initiative d’habitants de la Drôme et de l’Ardèche, incarne aujourd’hui cet engagement. Il réunit plus de 80 producteurs de boissons et compte 60 points de collecte, pour 1 million de bouteilles « sauvées » en 2023. « La capacité des personnes sur un territoire à se parler, à se connaître, à travailler ensemble va devenir un facteur d'attractivité de plus en plus important », conclut Christophe Chevalier.

Toujours une question d’échelle

Enthousiasmant, le développement des écosystèmes locaux reste suspendu à des enjeux de compétitivité et de disponibilité en capitaux. Le premier enjeu s’incarne dans la timidité des relocalisations, alors que le solde entre fermetures et ouvertures d’usines a tendance à stagner. « Les industries traditionnelles et consommatrices d’énergies vont continuer à souffrir alors que de nouveaux secteurs sont porteurs : je pense à l’éolien en mer, aux activités de recyclage, aux megafactories5 de batteries ou aux puces électroniques comme à Grenoble », détaille Jérôme Fourquet. Quant à la question des capitaux, elle est conditionnée par la capacité d’investissement des acteurs locaux, mais également par la volonté politique. 53% des français et 75% des ingénieurs estiment ainsi que les pouvoirs publics n’apportent pas un soutien suffisant à l’industrie (Source : IFOP). « L’État, à travers La Caisse des Dépôts, nous donne de l’argent pour être un démonstrateur avec nos startups de territoire », pondère Christophe Chevalier. Du côté des banques et des investissements privés, Jérôme Fourquet souligne la pertinence des véhicules d’investissement locaux pour favoriser un apport en capitaux adaptés aux besoins réels des territoires. « C’est quelque chose d'intéressant, qui répond à un besoin d'ancrage et de sens ».

1 Traduction française : le petit est beau / les vertus de la petite taille

2 Traduction française : Peuple de quelque part

3 Traduction française : Gens de partout

4 Traduction française : jeune pousse

5 Traduction française : méga-usines