Comment se porte le marché de l’art ?

Axelle Givaudan, que retenez-vous de l’année qui vient de s’écouler ?

Photo d’Axelle Givaudan

Axelle Givaudan : Je ne retiens que de bonnes choses ! Certes les marchés des galeries et des salles des ventes ont accusé une perte de chiffre d’affaires, principalement due au premier confinement. Mais il s’est passé tellement d’évènements inattendus !

Avec la fermeture brutale du TEFAF à Maastricht, en mars 2020, les ventes se sont arrêtées en Europe, après l’Asie puis les États-Unis. Lorsque nous avons repris les ventes, début mai, nous avons constaté que nos clients, qui étaient restés enfermés chez eux pendant deux mois, avaient eu tout loisir pour réfléchir à leurs envies en matière de collection, décider des arbitrages et réfléchir à ce qui les faisait rêver. Il résultait de ces semaines qu’ils avaient envie de se faire plaisir.

Et qu’est-ce qui les faisait rêver ?

Axelle Givaudan : Leur enthousiasme s’est porté sur des objets très variés : le vin, le design, le luxe (bijoux, horlogerie, vintage...), mais aussi les tableaux anciens qui ont retrouvé l’intérêt d’un plus grand nombre d’acheteurs et en conséquence atteint des prix importants et justifiés par leur rareté ! En 2019 des pièces mythiques ont été mises en vente, telles Judith et Holopherne du Caravage, découverte faite par l’expert Éric Turquin dans le Sud-Ouest ou bien le Christ moqué, œuvre de Cimabue. Le marché s’est passionné pour ces deux découvertes. Lorsqu’au printemps et à l’automne, un Portrait de jeune homme de Botticelli a été présenté à Londres, puis la Madeleine pénitente de Salaï (un élève et disciple de Léonard de Vinci), les collectionneurs ont montré toute leur appétence pour ces œuvres. Nous avons assisté à de vraies batailles d’enchères et les ventes de tableaux anciens ont même égalé les ventes de tableaux contemporains.

Madeleine pénitente de Salaï
Madeleine pénitente de Salaï

Qu’est-ce qui a changé en 2020 ?

Axelle Givaudan : Après le premier confinement, les ventes ont redémarré dès le mois de mai, largement appuyées sur un marketing digital. De même pour récupérer leurs achats, nos clients ont opté pour un « click & collect1 » peu répandu jusqu’ici au sein des maisons de vente. Ces dernières ont proposé sur leurs sites internet des visites virtuelles, des vidéos mettant en scène les œuvres d’art les plus importantes, de courtes conférences sur les objets mis en vente ont été postées, et des « condition reports2 » très détaillés mis à la disposition des acheteurs, afin de faire oublier l’absence d’exposition publique. Les collectionneurs ont accepté cette évolution.

Quelles sont les grandes tendances du moment ?

Quatre chaises ayant appartenu au Comte d’Artois
Quatre chaises ayant appartenu au Comte d’Artois

Axelle Givaudan : Les tableaux contemporains, les tableaux modernes, les bijoux et les montres, le Design connaissent un grand succès depuis plusieurs années. Ce qui a été plus inattendu, c’est le succès rencontré par les tableaux anciens, mais aussi le mobilier ancien, qui a connu un rebond, alors que l’on peut dire qu’il était jusque-là au « purgatoire du marché de l’art ». L’adjudication spectaculaire le 21 juillet 2020, sous le marteau d’Isabelle Bresset, de quatre chaises exécutées pour le Château de Bagatelle, à la demande du Comte d’Artois est un signe tangible : provenance royale avérée, pièces de mobilier rares, les enchères se sont envolées. La clientèle asiatique s’y intéresse de près, notamment pour les pièces XVIIIe siècle en bois doré. Mobilier d’époque, haute époque, sculpture... les objets dits « décoratifs » se vendent à nouveau très bien !

Le marché de la bande dessinée reste toujours florissant, avec de très nombreux collectionneurs actifs.

Comment se dessine l’année 2021 ?

Il n’y a plus de Pythie à Delphes...

cependant je peux dire que le marché de l’art aborde 2021 avec confiance compte tenu de l’intérêt constant des collectionneurs et enchérisseurs qui sont présents. Les ventes digitales ont une place plus prépondérante et nous prévoyons le même nombre de ventes que d’habitude, soit une petite centaine réparties sur les deux semestres.

Comment se comporte le marché de l’art contemporain ?

Axelle Givaudan : En 2020, le marché est resté toujours aussi disparate avec très peu d’artistes dont les œuvres obtiennent des prix importants. Pour certains, leur œuvre a marqué l’Histoire de l’art contemporaine, par leur talent et leur créativité. Ils ont une cote en vente aux enchères qui reste bien en-deçà de ce qui devrait leur revenir. On peut citer entre autres Hans Hartung, Bernar Venet, Arman. Artcurial va d’ailleurs publier d’ici quelques semaines une vidéo à ce sujet. Acquérir une œuvre d’art, c’est tout d’abord être séduit par ce qui est sous vos yeux. Il convient ensuite d’avoir des critères objectifs : qualité du tableau, son importance dans la carrière de l’artiste...

Hugues Sebilleau, Directeur du département Art contemporain et Martin Guesnet, Directeur d’Artcurial Europe, soutiennent depuis toujours la sculpture monumentale et organisent des ventes dédiées à Monaco, qui rencontrent un immense succès car une sculpture, qu’elle soit une fontaine, une girouette ou une simple sculpture, permet de structurer un jardin et de lui donner un style particulier.

Dans les années 2005, Artcurial fut séduit par le « street art » alors marché émergent et un département dédié fut créé quelques années plus tard. Arnaud Oliveux a défendu avec succès les artistes émergents de la scène française et ceux américains plus reconnus.

En 2020, après plusieurs ventes dédiées à l’art africain contemporain, un département spécifique a été créé, dont Christophe Person a pris la direction. C’est un art dynamique, coloré, enthousiaste, avec des artistes majeurs encore méconnus : en cette période de Covid-19, ces visions énergiques et optimistes du monde devraient séduire un large public de collectionneurs.

Tableau de Hans HARTUNG (1934)
Tableau de Hans HARTUNG (1934)

1 En français : cliqué-emporté.

2 En français : constats d’état sur les œuvres d’art et les objets de collection.