Les banques centrales sont-elles toujours indépendantes ?

Les chocs pétroliers au cœur des fondements

Les principales économies de la planète ont été marquées à la fin des années 70 par un niveau élevé d’inflation, face auquel les banques centrales ont pu faire preuve d’un certain laxisme. C’est pourquoi leur rôle a été redéfini à partir des années 1980 en fixant la stabilité des prix comme l’objectif principal des politiques monétaires qu’elles incarnent. Au passage, leur indépendance est réaffirmée et l’instrument privilégié consiste dans le maniement des taux d’intérêt à court terme, sans interagir avec les autres politiques économiques. Ce nouveau cadre amène Paul Volcker, alors président de la banque centrale américaine (la FED), à pousser les taux d’intérêt sur des niveaux très élevés (proches de 20%), luttant ainsi avec efficacité contre l’inflation issue des chocs pétroliers successifs de la décennie des années 70.

La longue période de désinflation qui s’en est suivie aura permis aux banques centrales d’accompagner le développement des économies en pilotant des taux d’intérêt à des niveaux généralement inférieurs aux taux de croissance, favorisant ainsi l’endettement des agents économiques publics et privés.

La grande crise financière bouleverse les équilibres

La grande crise financière de 2007/2008 marque un tournant dans la conception du métier de banquier central. La manipulation des taux d’intérêt en tant qu’instrument de régulation unique touche ses limites dans un contexte de taux déjà faibles. C’est ainsi que nous voyons apparaitre de nouvelles politiques dites « non conventionnelles » qui amènent les banques centrales à intervenir directement sur les marchés financiers. La BCE, sous l’impulsion de Mario Draghi a mis en place des opérations de Quantitative Easing1 (QE) à grande échelle à l’exemple de son dernier programme d’urgence lancé en mars 2020 au début de la crise COVID,le PEPP2, dont le montant cible atteint désormais 1850 milliards d’euros. Ces opérations contribuent à une création monétaire en échange de l’achat de dettes, essentiellement publiques dans un premier temps, puis privées plus récemment. Toutes les banques centrales des pays développés ont ainsi mis en place de tels programmes d’achat et la monétisation des dettes publiques devient ainsi l’instrument de politique monétaire dans un environnement de taux d’intérêt nominaux nuls ou négatifs. La crise de la COVID a poussé ces politiques à leur paroxysme en gonflant les bilans des banques centrales.

Une autonomie désormais relative

Si nous pouvons saluer la faculté à engendrer une réponse rapide et coordonnée des principales économies et banques centrales afin de contrer le risque d’effondrement de l’activité économique, il ressort que nous sommes témoins d’une transition fondamentale dans la conduite des politiques économiques au sein des pays occidentaux : d’une dépendance monétaire à une domination fiscale. Les politiques budgétaires sont réactivées comme aux plus beaux jours du keynésianisme. Si les banques centrales demeurent officiellement indépendantes, la contribution des politiques monétaires vise en particulier à maintenir des conditions favorables au financement du déficit budgétaire.

Parallèlement, les politiques quasi exclusives de «> ciblage d’inflation> » ont fait place à des objectifs plus larges et offrant plus de souplesse. La FED se fixe ainsi des objectifs d’inflation moyenne et de sous-emploi : ces évolutions peuvent également s’interpréter comme l’adaptation des politiques monétaires à un cadre plus imbriqué au sein d’une politique économique globale. De la même manière, Christine Lagarde assure que la BCE restera très vigilante à maintenir des conditions monétaires souples tout en rappelant l’importance du plan de relance européen Next Génération EU d’un montant de 750 milliards d’€.

Dans ces conditions peut-on toujours parler de réelle indépendance ?

Certes, les banques centrales sont en grande majorité farouchement attachées à cette notion qui relève de l’ordre statutaire avec une exception notable toutefois : la banque centrale chinoise, la Banque Populaire de Chine (BPC), n’est ni en droit ni en fait indépendante du pouvoir politique. Mais s’agissant des grandes banques centrales occidentales, le risque est qu’elles soient désormais plus contraintes dans leurs choix monétaires, alors que des pressions inflationnistes apparaissent, et qu’elles agissent alors avec retard eu égard aux considérations économiques réelles.

1 QE : Quantitative easing. L’assouplissement quantitatif désigne un type de politique monétaire par laquelle une banque centrale rachète massivement de la dette publique ou d’autres actifs financiers afin d’injecter de l’argent dans l’économie et de stimuler la croissance (Wikipédia).

2 PEPP : Le Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP) est un programme de politique monétaire lancé par la Banque centrale européenne en mars 2020 afin de lutter contre la crise économique liée à la pandémie de Covid-19 (Wikipedia).