Le rebond de l’inflation va-t-il durer ?

L’inflation : une affaire de niveau

L’inflation a longtemps été considérée comme un déséquilibre auquel il fallait remédier rapidement sous peine d’induire des comportements nuisibles à la stabilité globale de nos économies de marché. Pourtant, une inflation modérée peut s’avérer bénéfique à condition qu’elle soit stable et prévisible. Elle peut créer une incitation immédiate à consommer ou à investir à court terme plutôt que de retarder ces décisions. Les grandes banques centrales, ancrées depuis les années 80 au sein d’un dogme d’une cible d’inflation à 2%, ont admis ce principe et font évoluer leur politique monétaire en acceptant une plus grande tolérance pour leur objectif d’inflation, de manière à dégager des marges de manœuvre vis-à-vis d’autres objectifs de politique économique.

De nombreux facteurs militent pour un phénomène transitoire...

Aussi, les hausses actuelles des indices de prix, jusqu’à présent largement expliquées par les perturbations liées aux luttes contre la pandémie Covid, sont examinées avec le recul nécessaire à l’appréhension de phénomènes transitoires et ponctuels. Les effets de base alimentent largement les hausses des indices en 2021, eu égard à la forte chute de la consommation qui avait marqué la période mars-juin 2020 lors des premiers confinements généralisés.

De la même manière, les ruptures de chaînes d’approvisionnements – au travers des profondes modifications de la demande (hausse sensible de consommation de biens digitaux par exemple) et/ou des désorganisations de l’offre – devraient pouvoir se résorber au fur et à mesure des pleines réouvertures des économies mondiales.

Au final, l’inflation européenne qui a atteint un niveau de 3,6% en septembre 2021 (+1,9% pour l’inflation hors alimentation et énergie) devrait atteindre un pic en novembre 2021.

Indices des prix en Europe (Large et cœur)

Graphique Inflation

Les banques centrales font preuve de pragmatisme

Les banques centrales, du moins dans les pays occidentaux, accréditent la thèse de phénomènes non durables qui s’atténueront en 2022, et adoptent par conséquent des positions qui demeurent relativement souples dans la conduite de leur politique monétaire.

La FED et la BCE ont tout de même révisé leurs objectifs stratégiques en fixant désormais non plus des niveaux stricts en matière de cible d’inflation (2%) mais en raisonnant sur des cibles moyennes, ce qui signifie l’acceptation de dérives au-delà de ce niveau.

Pour autant cette définition est suffisamment floue (quelle serait la marge réelle à la hausse ?) pour permettre toutes les interprétations dans les années à venir et s’adapter à la nouvelle donne.

L’enjeu est important pour les marchés financiers. Jérôme Powell, patron de la FED, a pour le moment convaincu les marchés financiers du caractère transitoire de l’inflation. Mais l’état d’esprit des agents économiques ou investisseurs a tendance à évoluer, si l’on se fie aux différentes données d’anticipations, du fait d’un dérapage qui persiste et s’appuie sur des facteurs qui relèvent plus d’aspects structurels.

Des éléments davantage structurels font craindre un phénomène plus durable

Les fondements de la désinflation des trois dernières décennies résultent tout d’abord d’une farouche volonté des banques centrales de mettre en place des politiques monétaires de lutte contre l’inflation. Une volonté qui coïncide avec la montée en puissance de la mondialisation et l’entrée de la Chine au sein de l’OMC en 2000, qui permirent une baisse sensible des coûts d’approvisionnements pour les entreprises.

Aujourd’hui, l’économie mondiale connaît des mutations qui pourraient conduire à un changement de régime.

D’une part, la multipolarité signifie une redistribution des rôles et une remise en question de la globalisation : la ré-internalisation d’activités au sein de pays à coûts de main d’œuvre plus élevés est potentiellement inflationniste.

De même, la rivalité Chine/USA positionne désormais les relations entre les deux principales économies de la planète sur un mode non coopératif, donc pas forcément optimal.

D’autre part, le changement climatique est lui aussi source de tensions par nature (perturbation des rendements agricoles, rupture des chaînes d’approvisionnements) accentuées par les régulations mises en place dans le cadre des transitions vers des économies zéro émission. Certes, il s’agit là de modifications longues de l’environnement économique mais elles déterminent un cadre où certains puissants facteurs de désinflation ne seront plus à l’œuvre à l’avenir.

Un risque de spirale salaires/prix

À plus court terme, les enjeux résident surtout dans l’émergence de ce qu’on appelle traditionnellement les effets de second tour, à savoir les répercussions de la hausse initiale des prix.

Les entreprises pourront-elles amortir les hausses de coûts de leurs intrants ou bien vont-elles les répercuter dans leur prix de vente ? Les ménages seront-ils tentés d’exiger une compensation salariale ou bien devront-ils accepter une baisse de leur pouvoir d’achat ? Les réponses à ces questions reposent évidemment sur les rapports de force des parties prenantes et sur la pérennité de la croissance économique.

Si les risques d’une spirale salaires/prix semblent hors sujet pour le moment, nous ne pouvons totalement exclure la pérennité d’une « inflation transitoire qui dure » en lien avec les ajustements toujours en cours dans un monde post-Covid.

Et les marchés financiers, qui naviguaient jusqu’à présent dans un environnement où l’inflation était réputée non durable jusqu’à preuve du contraire, s’interrogent désormais sur les possibilités d’erreur de politiques monétaires des banques centrales qui tarderaient trop à agir face un risque d’emballement de l’inflation.

L’évolution de la sémantique des banquiers centraux s’agissant des inflexions possibles de leur politique sera ainsi particulièrement scrutée dans un proche avenir.